NOTHOMB 2008 - Le fait du prince ou le rêve nécessaire d'une princesse épuisée

Que dirai-je du dernier récit d'Amélie Nothomb ? La brave bête à tête de lecteur que je suis s'est vue pousser la 17ème antenne avec ce 17ème roman auquel j'ai trouvé sa place légitime au milieu des 16 autres. A la Demoiselle, j'ai attribué toutes les grâces ( quand elle ne m'en a trouvées aucune) ; je lui voue la plus grande fidélité, la plus noble étant celle de penser ce que j'écris d'elle. Dire de ce roman me coûte non par ce que j'en pense ou ce qu'elle en dira, mais parce qu'au moment même où je me remets à l'ouvrage après un long silence, il me faille tomber sur le n°17, âge épidermique du bac, pas sérieux selon Rimbaud, nombre fatal qui fête l'adolescence de l'oeuvre. Pourtant, il n'y a rien du fait adolescent dans ce récit, bien au contraire, ou alors il y a ce qui dans l'adolescence passe par le fil ténu de la Nécessité. Le fait du Prince est un roman de la Nécessité au sens le plus fort de l'anankê grecque. D'ailleurs, saviez-vous que le 17ème roman de Balzac était aussi un roman nécessaire ?
Le fait du Prince, c'est un petit apologue dans la veine de Mercure, Les Catilinaires, Acide... Après lecture, on retient un couple de fainéants ordinaires. Le premier a pris la peau d'un autre pour être encore plus fainéant ; la seconde a épousé le premier et s'acclimate sans ciller de son usurpateur. L'action se passe dans une maison magique qui jette des sorts à transformer en bois dormant un bataillon d'insomniaques ; le ménage s'y fait de lui-même, le champagne millésimé pousse dans des piscines souterraines aux eaux bouillonnantes et chamarrées, enfin le temps est mollement scandé par l'estomac d'un gros chat, mascotte antipathique de ce conte immobile.
S'il existe un exemple de récit anti-nothombien, Nothomb en fournit elle-même le prototype. Il y a même dans ce roman un ras le bol de Nothomb qui équivaut à une fascination pour l'ordinaire, pire, pour la normalité. Cette fable est un rêve normatif ; ça sent le désir de vacances, de simplicité béate, de nuits longues, d'amour vidé des persécutions liées à la séduction et au désir. La seule jouissance réservée est le luxe d'être ivre toute la journée sans être saoul. L'idéal de la femme : une blonde un peu conne qui ne vous pose pas de questions et vous sert le petit déjeuner au lit. Quant à l'image de l'homme elle est tout aussi désespérante : le narrateur est un gros matou châtré à demi, ventre affamé en serviette éponge dont l'ambition secrète est de se confondre avec le chat. Quel lecteur de Nothomb lui a jamais connu de tels personnages ? « Je vous aime, vous m'aimez, trinquons ! » Voilà le propos de cet anti-conte de fées, antithèse littérale de sa couverture magnifique où l'on voit Amélie en sorcière de Macbeth échouée et suppliante. Mais où sont passés les monstres ? Quelle chimère a déserté, qu'Amélie, dans la pose d'un Christ aux oliviers invoque ou abjure ?
Contre-fable donc, à moins qu'elle ne corresponde à un réel appel de son auteur. D'ailleurs le jeu de mot est facile où l'on dérape de la fée au fait. Cette utopie normative, il est normal que vous et moi en rêvions ( ce qui prouve, contrairement à ce qu'on veut nous faire croire, que nous travaillons beaucoup ! ) Je pense qu'au bout de 17 années il est bien plus légitime encore que A. Nothomb l'éprouve ! Mon esprit s'égare certainement mais n'y aurait-il pas là une tentation sagannesque ? Ôté le décor étrangement commun : champagne, peignoir, villa de luxe, jaguar, on y ressent un désir passionné de ne rien faire. Méfiance cependant au jeu des miroirs ! Bien que les deux dames soient ensemble malignes et voraces, les alouettes de Françoise ne sont pas les chatteries d'Amélie : pour avoir lu Sagan, nous connaissons la réversibilité lente et existentielle de ces écrins au bonheur, aussitôt touchés aussitôt perdus.
Oserais-je penser juste si j'osais dire que cet opus est l'antichambre de l'écriture et du travail de l'écrivain, ce dont rêve Nothomb pour en faire un conte merveilleux : un changement de peau, prendre congé d'elle même. Exit les monstres ! Voilà le seul moyen, au-delà des paradis éphémères du champagne et malgré l'invention ingénieuse de réservoirs pour qu'il dure, de « cesser d'avoir peur ». Si on ne fait pas de littérature avec de bons sentiments, on ne recherche le bonheur qu'avec eux. C'est ce que dit ce récit qui semble trahir un désir nécessaire de l'auteur, et que l'on comprend.
© Ameleia