Virginia Woolf par Alexandra Lemasson - biographie

Publié le par Ameleia


   
        Je ne lirai plus jamais de biographies sur Virginia Woolf.
                                                                                 
                                                                          
                                                                                            Rien ne m'ennuie plus qu'une biographie sur Virginia Woolf. J'en ai lu plusieurs avant d'affirmer une telle idiotie. Je suis opiniâtre. Chose un peu extraordinaire, chaque fois que j'ai fermé un ouvrage sur sa vie, qu'il fût long ou court, j'ai aussitôt tout oublié. C'est d'autant plus surprenant  que :

je lis peu de biographies.
lorsque j'en lis une, je l'oublie d'autant moins.
je ne lis exclusivement que la biographie des auteurs que j'aime.
j'aime Virginia Woolf, je la lis de manière exclusive depuis la découverte d'Orlando à 19 ans.
j'ai lu plusieurs biographies de Woolf dont celle d'Hermione Lee en 2000. (Virginia Woolf ou l'aventure intérieure, Autrement)


        Oublier régulièrement sa vie est donc une aberration doublée d'un sacrilège.

    La lecture de la petite biographie de Alexandra Lemasson n'a pu faire exception. Elle répond néanmoins à une situation précise : Il y a quelques semaines, une conversation avec une jeune femme, fervente lectrice de Woolf.  Elle me reprend sur un élément de la vie de Virginia, et me colle sur son premier roman. Je veux cacher mon ignorance, et comme à chaque fois que je mens, ne serait-ce que par omission, ma figure est traversée par des éclairs grondants de grimaces. Bien sûr, ils n'échappent pas à la conscience fine de la demoiselle qui eut la délicatesse de ne pas ciller.  Depuis ce jour, je me tiens à cheval entre le précipice de la honte et le précipice des ignares.

    Cette petite biographie parue en poche chez Folio est donc tombée comme un réconfort pour donner un peu de leste à mes lacunes ainsi qu'à ma mauvaise conscience. Son format aussi léger qu'agréable est assez unique (Chacun sait que le lecteur de biographies lit au poids !) Le livre avait donc pour mission première de cicatriser les deux poignards de ma honte et accessoirement éclairer mon problème d'amnésie relative à la biographie woolfienne.

    Si le petit ouvrage, au demeurant très bien fait,  m'a rafraichi la mémoire, je n'y ai du reste pas trouvé les deux informations manquantes. Non seulement je me sens encore aux yeux de ma jeune interlocutrice Gros Jean comme devant, mais en plus, je sens en moi que je vais oublier à nouveau la vie de Woolf. Je l'oublie. Je l'ai oubliée.
   

    Le paradoxe de V. Woolf le voici : rien ne nous éclaire moins sur l'oeuvre que cette vie de dépressions et de révoltes immobiles. Entre périodes de création et périodes d'hallucination, entre Bloomsbury et Richmond, Léonard et Vita, entre l'imprimerie et le roman... c'est très ennuyeux. La vie de Virginia Woolf est ennuyeuse parce que comme tout écrivain, on s'attend à ce qu'elle ait une vie romanesque alors qu'elle n'a eu qu'une vie d'écrivain. Et parce que c'est une vie sans portes qui claquent, sans dés jetés dans la nuit, on cherche entre les actes, on l'analyse avec ce qu'on peut, c'est à dire quand on est sans recours, avec ce qu'il y a de pire : la psychologie. C'est ça qui est  le plus assommant. A présent, qu'on lise ce que Virginia écrit dans son Journal et la vie devient romanesque. Non comme on la veut, héroïque, en extériorité, mais comme une mer aux insondables profondeurs. A lire la biographie, on reste profondément à la surface de sa vie. A lire son Journal on entre par la surface dans sa vie de profondeurs.

 
    Rien ne fait trembler comme une ligne du Journal. Le coeur s'agite, je veux lire, je veux quitter le livre. Une ligne d'elle sur elle, déjà je sais que l'écriture est plus profonde que sa vie même. Les gens qui lisent des biographies ne veulent pas trembler, ils veulent des explications.

    Cette petite biographie a néanmoins des qualités intrinsèques : elle donne des balises, chronologiques, elle ouvre quelques ponts entre la vie et l'oeuvre, fait tomber quelques clichés salutaires sur l'absence d'humour ou de sensualité de Virginia, surtout reste prudente sur les interprétations psychologiques, particulièrement dans la relation au père et au demi-frère, George. Son point faible est sans doute l'usage très modéré, très synthétique de la citation. Et donc de l'oeuvre elle-même. On veut du texte ! On veut du texte ! En cause, la brièveté de l'ouvrage qui offre une faible entrée dans l'oeuvre littéraire, n'approche ni l'écriture, ni vraiment l'oeuvre romanesque par un autre biais que biographique. Ce que j'attends d'une biographie littéraire c'est qu'elle éclaire l'oeuvre par l'auteur et non le contraire. Je ne lirai plus jamais de  biographies de Virginia Woolf. Qu'on me le rappelle si j'oublie.   

Nota bene : je n'ai pas été claire dans mon humeur capricieuse. Cette petite bio dans sa catégorie est excellente. Elle n'a pas plus de prétention que de faire entrer dans l'oeuvre de V. Woolf.

©ameleia.
Mercredi 15 avril 2009. Rochefort du Gard. (30)

Publié dans Virginia WOOLF

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E
<br /> Aucune biographie, sauf celles de Zweig !<br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> :)<br /> <br /> <br /> <br />
M
C'est moi qui vous remercie. Je m'aperçois que les quatre autobiographies que je cite montrent l'être en lutte contre des oppressions inéluctables : Beauvoir, un milieu social ; Gary, la projection maternelle ; Zweig, les folies nationalistes ; Nothomb, les mutations professionnelles du père. C'est pathétique car nous sommes peu de choses face à des rouages implacables.
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M
Oui, vous avez raison, ce n'est pas l'écriture de Nothomb qui relève d'une émotion pathétique. Son écriture est distanciée. Mais cela n'empêche qu'elle décrit des choses pathétiques (je veux dire par là très douloureuses), à commencer par la séparation très jeune de sa nounou. Le non-respect, c'est de traiter les enfants sans la sécurité dont ils ont besoin. Il est désastreux de déplacer des enfants dans n'importe quel contexte comme il arrive aux deux soeurs sous prétexte de mutations professionnelles. Ruptures continuelles, traumatismes et agressions qui génèrent de grandes souffrances. <br /> J'avance dans le Zweig : "Le monde d'hier". Il faut lire sa description de l'inflation après 1918. C'est stupéfiant.
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A
<br /> oui, cette douffrance n'est jamais explicite. C'est au lecteur de dégager des conclusions, plutôt de les sentir à partir de ses propres carences. Là opère le travail de l'autobiographe. Je n'avais<br /> pas envisagé la douleur de ce point de vue (le ballotage parental) je vous remercie.<br /> <br /> <br />
M
Je vous avais répondu mais le message a l'air de s'être perdu. Je lis en ce moment une autre étonnante autobiographie : Le monde d'hier de Stefan Zweig.
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A
<br /> Oui, je crains de n'avoir rien reçu... Je n'ai pa lu le Zweig posthume. Il parait que c'est excellent.<br /> amicalement. A.<br /> <br /> <br />
M
Comme cela me fait plaisir ! Je trouve que ce qui est extraordinaire dans la vie, c'est que les vies soient aussi différentes les unes des autres. Les trois autobiographies Beauvoir-Gary-Nothomb le montrent bien. Fabuleux texte de Beauvoir dans la précision. je n'ai jamais lu une reconstitution du réel aussi fine pour raconter trois intensités : une volonté farouche de libération, une rencontre fabuleuse, la perte de l'amie. Chez Gary, c'est la relation à la mère qui est stupéfiante et le destin programmé. Avec Nothomb, on atteint le pathétique du non-respect de l'enfance et de l'adolescence ballotées de par le monde et sauvées par la rencontre de la littérature.
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A
<br /> Merci. pouvez-vous m'expliquer ce que vous entendez par "le pathétique du non respect". Chez Nothomb l'enfance est un sommet dont les âges suivants sont la plus intime dégringolade. Pour ma part je<br /> n'ai jamais lu aucune ligne qui relève d'une émotion pathétique. Même lorsqu'elle décrit les plus profonds outrages. ... j'attends vos lumières...<br /> <br /> <br />