Dans la ville des veuves intrépides de James Cañón,

Publié le par Ameleia


Utopie or not to be...

   

                                                                                Comment bâtir une société idéale fondée sur le respect et l'équité ? En se débarrassant des hommes bien sûr ! Et l'amour me direz-vous ? C'est justement là le problème : encore faut-il d'abord  rétablir la paix, et puis aussi l'égalité, et puis peut-être après inventerons-nous la douceur... Comme les hommes du village de Mariquita en sont  dénués, qu'un coup du destin nous en débarrasse ! Et c'est ce que fit le destin : voilà qu'un jour  les guerrilleros réquisitionnent tous les hommes du village. Dès lors, l'anarchie s'installe lentement :  avant de résoudre le problème de l'électricité et de rétablir l'eau courante, le plus important c'est le corps. Pour le satisfaire, ces dames créent un bordel ambulant. En patronne moderne Emilia met en place un plan de formation avec des positions et des techniques sexuelles hors du commun en faisant passer des « oraux » à ses congénères. Mais le drame devient fatalité lorsque la petite communauté se met en quête de procréer. Le prêtre lui-même se lance dans une croisade de reproduction sacrificielle, baisant allègrement au nom du Seigneur. Mais de ses visitations divines, ne sortent que le souffle du vide et quelques brutalités. Quelle fatalité encore frappe les jeunes adolescents en qui on place tout le salut séminal du village, lorsque le jour de l'exploit attendu ils subissent une tombée magique de pénis ? Bref le destin s'est abattu sur le petit village de Mariquita pour qu'aucun homme n'y survive.
    Pour James Cañón, une société sans hommes n'est pas une fatalité, c'est une providence. Il prend pour cela tout le temps du roman pour le faire comprendre à ces dames. Ils faut se déculturer de la culture des hommes pour qu'apparaisse un ordre nouveau. Après le manque d'hommes, après le manque de géniteur, peut enfin venir l'amour. De toute la Colombie déchirée par la guerre, Mariquita deviendra le seul village pacifique et ce par l'invention exclusivement féminine d'une nouvelle société. 

    Cañon invente cette fable politique et humaniste pour signifier qu'une société ne peut se construire qu'en annulant le conflit des sexes, surtout en évacuant le maximum de masculin,  l'homosexualité pouvant être la voie sinon la fin idéale et  nécessaire au fondement d'une société égalitaire et pacifique.
    Dans la veine du réalisme fantastique de García Marquez et de Vargas Llosa, Cañon met en place un univers baroque et coloré où la vérité s'accomplit toujours de la manière romanesque la plus naïve et la plus concrète. Ainsi, vous saurez comment le nouvel ordre économique pensé par Rosalba, la maire au gros derrière, a été décidé par la vache Pérestroïka. Vous saurez pourquoi Gardenia au nom si fleuri, bijoutée de fruits et d'épices se met à puer la charogne,  et ce que fit Francisca de la fortune qu'elle trouva sous son lit. Jamais de psychologie ou de situation qui n'apparaisse autrement que traduite par le corps. La nature et ses manifestations  naturelles ou magiques traduisent le réel mieux que le réel ne peut se traduire lui-même. Ce roman hilarant désamorce le tragique par le rire et les situations bouffonnes.
    Dans la ville des veuves intrépides est un grand roman, certainement un des meilleurs romans de l'année et de l'ensemble de la littérature sud-américaine. 

James Cañón, Dans la ville des veuves intrépides, Belfond, 2008, 379 pages.
Publié dans le magazine des livres n°12.

Publié dans James CANON

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