Sale Fille d'Anne-Sylvie SPRENGER
Un chant d'amour et de cadavres.
Julie est condamnée à tuer celles qu'elle aime. Après l'amour, le corps doit disparaître. Non parce que dans le crime il faut dissoudre le mobile et l'empreinte, mais parce qu'avec le corps de l'aimée assassinée doivent se décomposer la caresse et le soupir. Car Julie aime d'un amour maudit. Sa mère, nymphomane, la prend pour objet quand elle est à cours d'amants. Une fois, une seule fois, elle l'embrasse : à l'instant ultime de son suicide. Depuis cette scène capitale, le seul amour possible sera à jamais sexuel et mortel. Méfiance si Julie vous étrangle dans un baiser, le soupir de votre jouissance sera le premier soupir de votre mort. Bienvenue dans le bal adorable des damnées.
Anne-Sylvie Sprenger ne fait pas du beau avec du laid. Elle fait du beau avec du sale. Le texte explore jusqu'au bout toutes les turpitudes du sur-moi : mutilations, nécrophilie, scatophilie, analités enfantines et autres variations sado-masochistes. « Embrasse-moi et tue-moi. Juste de quoi jouir à moitié morte, » dit Julie à son amante. Cette mystique de la turpitude a cela d'original et d'unique dans la littérature qu'elle se place exclusivement sur le plan féminin. Nulle saturation goinfre du plaisir, nulle orgie qui renverraient aux imaginaires rassasiés de Sade. Sous la plus excessive violence, la caresse. Sous la plaie, le berceau. Car ce roman n'est pas amoral, violent, transgressif, sadique, il est pire : il est aspiré par la Pureté. Les plus grands sadiques ne sont-ils pas les plus grands sentimentaux ? Le mal pratiqué dans son authenticité n'est pas l'oeuvre du méchant et Julie n'est pas une crapuleuse. Julie, c'est le rêve du Bien, c'est le rêve d'une expiation adorable. Plus sa chair supplicie, plus vite elle bénit.
Dans cette histoire, la mort est un rendez-vous, un cycle nécessaire ; c'est aussi une faim d'amour que l'enfant vient assouvir. Il n'y a rien de plus naturel que cette mort que l'on offre en écrin au plaisir. D'où, dans le roman, la magnifique omniprésence de la nature qui préside à chaque amour de Julie. La mort épouse le cycle des saisons et rejoint les cercles naturels du désir et de l'étreinte. Tout se répète et tout va bien. C'est ainsi qu'il devient si doux et si naturel d'épouser la morte sous le regard des morts : « Il y a quelque chose de beau à imaginer l'être aimé couché dans un pré, déjà mort, les lèvres encore humides. Y-a-t-il rien de plus pur ? Au milieu des os et de fleurs je pense à Mademoiselle Wälder. Je l'aime entre les crânes, j'embrasse sa bouche, je touche ses seins. Les morts nous regardent. Ils envient notre amour. » Cette rêverie cadavérique qui épouse la beauté des cycles révèle que le sadisme féminin a son côté bucolique et qu'il n'est pas de nécrophore femelle sans romantisme.
Si Sale fille est un roman, c'est pour n'en garder que les instants miséricordieux. Si Sale fille est de la poésie, alors il en est le plus pur péché. Les chapitres courts, sont des tableaux éphémères - comme les phalènes. Les mots sont des théâtres d'apparition, chaque apparition est un chant d'amour entre éros et mort où dans le plus fragile équilibre, se tiennent la pudeur et l'effroi. Les scènes pourtant crues sont rendues par un style déconcertant de naïveté enfantine. De même, les faits décrits parmi les plus violents sont toujours supportés par l'innocence des intentions. Chez Anne Sylvie Sprenger, le crime est un don d'une douceur apollinienne.
Un chef d'oeuvre de pureté érotique.
©ameleia
Pour Le Magazine des livres.
http://www.magazinedeslivres.com/
Anne-Sylvie SPRENGER, Sale fille, Fayard, 2008, 118 pages.
A lire. L'excellent premier roman d'Anne-Sylvie Sprenger, Vorace
"Je m'appelle Clara Grand,j'ai vingt-sept ans et je crois en Dieu. Même plus : je crois en Dieu etj'ai l'angoisse de Le perdre.J'aime la couleur. Le kitsch, surtout. Ca ne me ressemble pourtant pas. Enfin pas à celle que je suis. A l'autre ? A celle qui est devenue moi ? Assurément. Elle est gaie, joviale, féminine. Moi, Clara, je suis boulimique.' Je m'appelle Clara Grand, 'ai vingt-sept ans et j'aime Frédéric. Même âge. Lui, Frédéric, il est anorexique. 'Presque toujours, quandj'ai trop bouffé, je me fais vomir. Quand je me sens sale, je me fais jouir. Et Dieu me regarde.'
Avertissement : Ces deux romans s'adressent à un public averti et littéraire. Ils ne conviennent pas à un jeune public. J'en déconseille vivement la lecture avant 16 ans.