L'Italie à la paresseusse de Henri Calet

Publié le par Ameleia

   

                Ne rien faire à toute vitesse...

   
    Qu'il est doux de visiter l'Italie quand on aime ne rien faire. Quand l'oeil du feignant se dilate aux heures chaudes, il projette ses plus intimes mirages : sous la prunelle oisive, Pise a des épanchement de danseuse ; Venise, la nuit, tord ses jambes de lanternes dans la lagune comme des amantes alanguies ; le gros Colisée fait la lune. Pour Henri Calet, voyager à la paresseuse  demande du travail. Faire le regard disponible exige qu'on déshabille la dame de tous les apparats de sa Grande Histoire puis qu'on lui ôte « cette croûte de patine artistique et romanesque». Une fois dénudée, l'oeil, en bel ignorant, peut « se laisser accrocher par le monde».  A la paresseuse, on fuit le Vatican et sa foule bouffie pour s'arrimer aux trompe-l'oeil de la villa Farnese soûlé de lustre et d'apéritifs. Paresser est le plus sûr moyen de rencontrer des émotions esthétiques. Qui aime le Sud et la méditerranée me comprend.
    Observez les touristes enragés avec leur Baedeker. Non, ne les observez pas. Ils vous soûlent sans les charmes miroitants de l'alcool. Ils vous assomment comme un gros rouge bu en plein midi. Ils lèvent et baissent la tête sur leur guide ; ils disent oui à n'importe quel paysage comme des pouces d'auto-stoppeurs. Dans la galerie des promeneurs paresseux Rousseau est  végétal, Musset est aérien, Giono  solaire, Calet en méditerranéen a la paresse des pierres.
    Pourtant, sous sa plume l'Italie fourmille, foisonne, à l'image de ses vespas qui se présentent en « essaims ». Douées d'une manière d'instinct, « elles se mettent d'abord à bourdonner de façon plutôt gentille et tout à coup, elles fondent sur vous, par derrière de préférence, en pétaradant. » Quelle vie ! Quelle urgence encore dans les courses de chiens, ou plus rapides et insolites, les courses d'hirondelles. Mais à observer ce monde électrique et animal, on perd tout ce qu'il nous reste d'instinct. Qu'on est bien, vautré en mammifère décadent à observer ces paniques de civilisation ! Dans la foule grouillante, le feignant traque l'atome immobile comme en musique l'esthète  préfère les soupirs. Sur les trottoirs bondés, Calet voit l'accordéoniste solitaire, dans les cafés hurlants il écoute « l'activité silencieuse » des chaudières à expresso. Par son oeil,  le panthéon bondé se visite dans le reflet sucré de sa glace. Enfin, le soir. La place d'Espagne envahie s'est figée « sous la poussière dorée des lampadaires électriques. »
   
    Comme on aime cette Italie où l'on ne  fait rien à toute vitesse ! La paresse est universelle. Sous la plume de Calet, c'est une vertu capitale. Elle a des charmes à ce point inexplicable que le lecteur ne peut qu'y projeter son Italie la plus intime et la plus personnelle. Une promenade régressive,  fantaisiste et nourricière.


©Amélie ROUHER pour le Magazine des Livres.

Henri Calet, L'Italie à la paresseuse, Le dilettante, 2009, 186 pages.


Publié dans Henri CALET

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