Je ne connais pas ma force de Stéphanie HOCHET

Dans le dernier roman de Stéphanie Hochet, un adolescent frappé d'un cancer du cerveau se raconte. Voilà bien un propos qui risquait de tomber dans l'escarcelle des littératures de témoignage à la mode et dans lequel les compassions d'un lectorat facile à prendre auraient pu se réfugier. Or, Stéphanie Hochet livre le contraire de l'effet attendu : on entre dans un véritable travail d'élaboration fictionnelle sans complaisance, stylé et exigent.
Le récit prend la forme d'un bref roman d'éducation. Mais ici, les épreuves ne sont pas imposées par le monde. Au contraire, la maladie apparaît comme une donnée vitale pour expérimenter son pouvoir de domination et de destruction sur le monde. Stéphanie Hochet insuffle alors à son héros toutes les tentations de l'adolescence : fantasme de puissance, manipulation séductrice, jouissance de l'étude de soi dans la souffrance ; toutes les palettes de l'adolescence sont expérimentées par celui qui les vit. Mais l'originalité vient surtout du choix de narration à la première personne : celui qui subit l'opération tient lui même le scalpel de chirurgien. Le sujet analysant est lui même l'objet de l'analyse. Si le jeune homme devient le « Führer » de son corps, il se fait aussi « gladiateur » de l'esprit à la manière d'un Monsieur Teste.
Le pari de l'analyse psychologique est réussi car son épure primordiale ne cède jamais au lyrisme ni à l'élan pathétique. Le lecteur entre dans la pensée du jeune narrateur qui s'observe vivre, agir, tente d'appliquer à ses actions sa volonté de puissance. C'est précisément ce mélange d'adhésion et de distanciation quasi chirurgicale qui donne au récit sa puissance de fascination et d'effroi. Par son style travaillé, Stéphanie Hochet se permet à la fois quelques échappées poétiques maîtrisées et un style paratactique où brillent des images fulgurantes : « J'aimais l'air âcre de notre ville surpeuplée, la route où s'enfonçaient les voitures tueuses de chats, l'odeur de pourriture des terrains vagues et les hangars entrouverts où l'imagination s'engouffrait. Je raffolais des territoires propices aux offenses. Je finissais pas accepter la probabilité de ma fin, j'étais moins sensible à la terreur. Il m'arrivait même d'espérer le pire, que le danger ouvre sa gueule immonde. »
Enfin, la chute est une vraie réussite : le jeune narrateur, dans sa jubilation à faire souffrir le lecteur, semble s'engager sur la voie du suicide. Or, contre toute attente, il n'y aura pas d'acte irréversible et encore moins de dépassement de soi. Le récit se termine non par le suicide mais par sa mise en scène. En même temps que le jeune narrateur élève au sommet son art morbide, il en affirme la médiocrité. Initiation ou contre-initiation ? L'auteur termine sur un regard ironique à la fois salvateur pour son personnage, mais peut-être aussi pour son ouvrage.
@ameleia

Article paru dans le MAGAZINE DES LIVRES n°11.